Appel à projets

L'association OETH accompagne les projets des entreprises relevant de l'accord handicap du secteur, sanitaire, social et médico-social associatif. Découvrez ERA PRO, le projet de l’EHPAD La Madeleine.

ERA PRO

En 2019, l’EHPAD La Madeleine candidatait à l’appel à projets d’OETH autour d’une idée très innovante : la mise au point d’un outil de repérage et de mesure des risques professionnels physiques et psychosociaux, à partir de l’évaluation clinique de chaque résident. Après une phase expérimentale concluante, l’outil est en voie d’être développé auprès d’autres établissements. 

C’est d’abord l’histoire d’une conviction : celle que des professionnels épanouis et en bonne santé sur leur lieu de travail seront de bons accompagnants pour les résidents. C’est ensuite un engagement de longue date de l’EHPAD la Madeleine dans une démarche de responsabilité sociétale. C’est en voulant aller encore plus loin dans une démarche de Santé et Qualité de Vie au Travail que l’établissement a eu l’idée de développer un outil pratique, fonctionnel et reproductible dans le secteur sanitaire, social et médico-social. 

Effet miroir

Le principe : repérer, à partir de l’évaluation clinique d’un résident, les risques physiques et psycho-sociaux courus par les professionnels et pouvoir y pallier. D’un côté, on définit comment accompagner au mieux la personne âgée à travers ses handicaps et ses dépendances, tout en cherchant à maintenir son autonomie. De l’autre, on anticipe et on met en place les mesures qui permettront aux professionnels d’intervenir auprès de cette personne sans courir de risques de troubles musculo-squelettiques ou de risques psychosociaux. Ainsi est né ERA-Pro. Plus complet que les grilles AGGIR et SMAF (Système de mesure de l’autonomie fonctionnelle), l’outil s’appuie sur l’évaluation clinique du résident (sa situation médicale, physique et/ou psychologique) pour isoler les risques du côté des professionnels. Ces risques identifiés et scorés, à l’aide d’un logiciel dédié, permettent de prendre des mesures palliatives et compensatoires pour accompagner le résident tout en protégeant le salarié. 

S’inspirer du terrain

Pour illustrer de manière concrète le projet, Sylvain Connangle, le directeur de la Madeleine explique : « Notre secteur n’est pas adapté aux normes génériques. Si l’on prend par exemple le cas d’une aide-soignante, amenée à bouger une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, pesant 50 kg et qui peut, avec la maladie, parfois se montrer très agitée : le mouvement sera pour la professionnelle beaucoup plus dur à réaliser qu’avec une personne de 80 kg immobile ». L’outil développé permet alors d’adapter les gestes et postures de l’aide-soignante de manière à prévenir des accidents ou diminuer la pénibilité. Alors que 70 % des résidents souffrent de troubles cognitifs, partir de leurs besoins pour adapter ceux des professionnels prend énormément de sens. De la même manière, la relation avec les familles a pu être revisitée dans certains cas pour ajuster, grâce à l’intervention de la psychologue, cadre de santé, les interventions des enfants, les aider à trouver leur place tout en permettant aux professionnels d’accompagner le proche.   

Agir sur l’attractivité

Pour Sylvain Connangle, il s’agit d’envoyer un signal fort : « Nous devons construire un système qui tient sur deux jambes, avec d’un côté l’usager et de l’autre le professionnel et pour chacun, l’attention portée à leurs besoins. Avoir cette double préoccupation, c’est toute la philosophie d’ERA-Pro». Car l’enjeu est fort. Le secteur est sinistré et doit trouver les moyens de garder les professionnels dans ses établissements. Cela commence par la réduction des risques physiques et psycho-sociaux dans un secteur très exposé alors que les besoins en recrutement sont très forts et l’attractivité en chute. Dans un contexte marqué par de l’absentéisme, des conditions de travail parfois difficiles, la prise en compte des besoins des professionnels et l’amélioration de leur bien-être deviennent essentielles. 

Des acteurs du secteur mobilisés

Le projet a fait l’objet de groupes de travail mobilisant de nombreux acteurs : les professionnels de l’EHPAD, la CARSAT, OETH qui finance le projet, la médecine du travail, l’école de santé publique de Rennes, l’université de Sherbrook au Québec et l’association 3ie. C’est elle qui a assuré la phase de conceptualisation et la coordination du projet. Progressivement, l’outil a vu le jour, avec un guide pour la quotation, une phase d’informatisation, des tests sur le contenu du format, des mises en situation… Florence Connangle, directrice de 3ie, explique cette phase de conception, jamais déconnectée de la réalité du terrain : « nous sommes partis de ce qui se vit au quotidien dans les EHPAD, nous avons observé le lien étroit qui unit la personne accompagnée et le professionnel : ceux qui vivent les situations sont les plus à même de faire émerger des solutions ».

Phase opérationnelle de l’expérimentation

Puis le projet est passé en phase opérationnelle au sein des services de résidents de la Madeleine.  Et au bout de bientôt 18 mois, les premiers résultats sont déjà là : « Nous avons encore peu de recul mais nous pouvons déjà constater que cet outil conduit à nous questionner sur l’organisation de nos services, nos pratiques ou encore la mutualisation de nos ressources » explique Andrée Servolle, directrice-adjointe et pilote du projet à la Madeleine . 
La direction de l’EHPAD a notamment révisé son plan de formation, en l’orientant davantage sur une meilleure connaissance de la personne âgée, sur l’accompagnement de fin de vie ou encore les troubles cognitifs. Sur le long terme, la direction espère enregistrer une diminution des arrêts maladie, maintenir des personnes en emploi là où avant cela n’aurait pas été possible et participer tout simplement à rendre le secteur plus attractif pour les futurs professionnels mais aussi pour les familles avec qui il est essentiel de travailler en confiance. Résident, professionnel, direction, famille, secteur… l’idée est que l’outil contribue à faciliter le quotidien de chacun. Du côté des équipes surtout, les bénéfices se font sentir : dialogue social facilité, cohésion d’équipe en hausse, intelligence collective en marche… « Les professionnels se rendent compte qu’ils ne sont pas isolés dans leurs propres difficultés et nous leur apportons un cadre pour l’exprimer, en dehors d’une salle de pause ou d’échanges dans un couloir » poursuit Andrée Servolle.

Au service d’un enjeu de société

Et la suite ? Elle s’écrira vraisemblablement dans d’autres établissements, peut-être du côté des services d’aide à domicile, voire auprès des proches aidants. Le projet est notamment lauréat du programme emploi et handicap 21XOETH. La démarche risque de faire des petits, tellement elle répond à un besoin spécifique au secteur mais elle doit pour cela réunir deux conditions. « ERA-Pro est un outil qui ne peut être mis en place sans une vraie connaissance du terrain car c’est bien la réalité des situations qui dicte les mesures de prévention et les adaptations à prendre » insiste Andrée Servolle. Surtout, la qualité de vie au travail doit faire partie des priorités de la direction. « Il doit y avoir une dynamique déjà enclenchée sur le sujet et un climat institutionnel propice, une réflexion sur le bien-être de l’autre » conclut la pilote du projet. Cet outil illustre la manière dont toutes les parties prenantes, engagées ensemble autour d’un objectif commun de bien-être des salariés, peuvent faire bouger les lignes, au service de l’énorme enjeu de société qui se pose à nous : celui du vieillissement.